Des nouvelles de la forêt d’Ambodiriana à Madagascar

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Jean-Michel Hervouet

Dans l’Orchidophile n° 216 de mars 2018, nous vous avions présenté cette forêt de la côte est de Madagascar et les efforts de l’ADAFAM, l’Association Des Amis de la Forêt d’Ambodiriana à Manompana, pour la préserver du braconnage et de la culture sur brûlis. L’enjeu était, et est toujours, la survie d’une centaine d’espèces d’orchidées, dont certaines nouvelles pour la science, ainsi que des palmiers rares, des lémuriens, des grenouilles endémiques, toute une diversité que les chercheurs qui se sont succédés dans la forêt ont progressivement dévoilée.

Association AdafamLa situation de la forêt est indiquée par le rond rouge sur le logo.

La convention de gérance accordée par l’état malgache ayant expiré en 2014, le cyclone Enawo ayant de plus ravagé début avril 2017 le camp de bungalows construit pour accueillir les touristes, l’horizon de la forêt était alors singulièrement bouché. C’est dans ce contexte angoissant que se terminait en 2018 notre article intitulé « La défense de la forêt d’Ambodiriana ».

Beaucoup d’entre vous étaient curieux d’apprendre la suite de l’histoire, voici les faits marquants qui se sont déroulés depuis trois ans pour aboutir à la situation en 2021.

Des lueurs d’espoir

Le changement de gouvernement après les élections de décembre 2017 à Madagascar a ramené au pouvoir Andry Rajoelina, qui avait dirigé la « période de transition » entre 2009 et 2013. Il s’en est naturellement suivi une vague de nouvelles nominations de ministres, puis de responsables divers, dont un nouveau directeur de la Direction de l’Ecologie de l’Environnement et des Forêts pour la région Analanjirofo, en la personne du Dr. Herizo Andrianandrasana. Avec ce nouveau directeur le courant est vite passé et une nouvelle convention a été préparée, un circuit de signature commence alors…

Les espoirs portaient aussi sur RainforestTrust, qui a mandaté une ONG malgache, Madagasikara Voakajy, pour évaluer le potentiel de la forêt et nous aider à préparer un dossier de création d’une NAP, une Nouvelle Aire Protégée. Après des débuts prometteurs cette piste ne va malheureusement pas aboutir et est à l’heure actuelle au point mort.

Parallèlement nous avons obtenu une aide financière substantielle de Feralis, un fonds de soutien français, qui après un an de fonctionnement va rejoindre Univet Nature, la fondation des vétérinaires français, avec pour directeur Benjamin Kabouche, qui apporte entre autres toute son expérience acquise à la LPO PACA.

Univet Nature

Rapidement, Univet Nature va pouvoir nous assurer un financement minimum sur plusieurs années, qui nous permet de nous engager dans des actions durables, en particulier le rachat de terrains privés dans le périmètre de la forêt et leur reboisement. Cette aide nous permet aussi l’organisation des rondes de surveillance de la forêt avec l’Association des Guides et Protecteurs de la Nature (AGePN), créée localement, et des actions de sensibilisation au village de Manompana et dans les écoles alentour.

Expédition vers l’Anove

Un des conseils d’Univet Nature est de rechercher aux alentours de la forêt d’Ambodiriana d’autres massifs forestiers dignes de protection, de préserver des corridors qui permettent à la faune de circuler sur des territoires suffisamment grands. En janvier 2019 Chantal et Jean-Michel Hervouet se lancent dans une expédition pour atteindre des forêts primaires repérées tout simplement avec Google Earth, non loin du fleuve Anove, à une quinzaine de kilomètres au nord de la forêt d’Ambodiriana. L’équipe qui les accompagne a été réunie par Grinaud Miandra et se compose de trois guides, 4 porteurs et un cuisinier.

Chantal Hervouet et l’équipe de trek

Chantal Hervouet et l’équipe de trek.

Pourquoi tant de porteurs ? Il n’y aura pas de ravitaillement dans les petits villages traversés, nous emportons 47 kg de riz pour 10 jours d’expédition. La ration d’un porteur à chaque repas est de 300 g. « 300 g ? » est notre exclamation en entendant ce chiffre astronomique, sachant qu’en France on compte plutôt 60 g de riz par personne. Notre étonnement est sans doute pour eux du plus haut comique, de toute la randonnée nos accompagnateurs ne cessent de se répéter « 300 g ? », prélude à grands éclats de rire…

Exemple archétypique de « tavy »

Exemple archétypique de « tavy », culture sur brûlis prise sur la forêt primaire.

Les forêts primaires furent bien au rendez-vous, mais fortement menacées par la culture sur brûlis, le « tavy ». Nous trouvâmes en route un exemple caractéristique d’un hectare de forêt parti en fumée et déjà planté de riz de montagne, bien qu’encore jonché de troncs abattus, sur une pente que le ruissellement ruinera en quelques années, un hectare parmi les 300 000 détruits chaque année dans le pays … un des taux les plus élevés du monde.
Curieusement nous trouvons très peu d’orchidées, mais parmi la demi-douzaine rencontrée en fleurs figurent au moins deux nouvelles espèces, dont l’une, près du village d’Ambohimarina, a déjà été trouvée par d’autres botanistes en 2007 près de Fianarantsoa et sera décrite en 2021 sous le nom Bulbophyllum caniceps Hermans, Sieder & Andriant.

Bulbophyllum caniceps

Bulbophyllum caniceps

Les villages traversés sont à des heures de marche de la côte et y acheter ne serait-ce que quelques bananes est déjà un problème. L’épicerie locale ne dispose souvent que de bière THB arrivée à dos d’homme et vendue environ un euro, et de sachets de soupe chinoise. A la question de savoir si des occidentaux sont déjà venus ici, un vieux villageois répond « trois fois ». Trois fois cette année ? Non, trois fois de mémoire d’homme ! Un enfant s’enfuit en hurlant à notre vue, la légende des fantômes blancs mangeurs de cœur, les « mpakafo », semble bien vivace ici. La police ne vient pas jusqu’ici. Qu’est-il arrivé l’année dernière à trois voleurs de vanille ? Un chef de village répond laconiquement : « fitsarambahoaka ». Justice populaire.
En fin de trek, Grinaud nous a réservé la surprise du chef. Il nous faut traverser l’Anove à la nage. C’est quand même un fleuve impressionnant et il n’y a pas d’embarcation, si ce n’est un petit radeau de bambou sur lequel transitent les bagages … et les porteurs qui ne sont pas sûrs de tenir la distance à la nage. Ils ont soin de nous rassurer sur l’absence de crocodile …

petit radeau de bambou sur lequel transitent les bagages

Le résultat des recherches est sans appel, la déforestation se poursuit à un rythme accéléré dans la région, et parmi les derniers lambeaux de forêt primaire encore préservés seule la forêt d’Ambodiriana présente une telle richesse. C’est peut-être dû à la présence des trois cascades qui assurent une humidité propice. Malgré tout, les recherches pendant plusieurs journées dans la forêt elle-même vont s’avérer décevantes aussi. Nous découvrons donc un curieux creux dans les floraisons en janvier, que l’on n’observe pas sur les hauts-plateaux. Il y a à Manompana deux pics de floraison des orchidées, le premier qui commence dès la fin août et se poursuit jusqu’en octobre ou novembre, le second à partir de mars-avril et jusqu’en mai.

Ambodiriana vue par un drone

La floraison en avril 2019 a pu être observée par des naturalistes venus de la Réunion, Véronique Lavergne, orchidophile, et Eric Gentelet, photographe animalier, ce dernier muni d’un drone qui va nous fournir la première vue aérienne de la forêt.

La forêt d’Ambodiriana vue par le drone d’Eric Gentelet

La forêt d’Ambodiriana vue par le drone d’Eric Gentelet.

Fin 2019 un groupe de 4 personnes emmenées par Gally, un des guides de l’AGePN, auparavant cordonnier de son état, a eu la grande chance de voir un fossa (Cryptoprocta ferox) dans la forêt. On ne voit en moyenne ce félin qu’une fois tous les 5 ans, et avant de le voir, on le sent … c’est d’ailleurs comme ça qu’il a été détecté par Gally.

2020, année de la pandémie

En 2017 Madagascar avait surmonté sans trop d’encombres une épidémie de peste en gardant le pays ouvert. Il va en aller tout autrement avec la Covid-19. En mars 2020 les pays se referment les uns après les autres et Madagascar va mettre en œuvre un confinement très strict, les aéroports sont fermés, à l’exception de quelques avions de rapatriement.
C’est justement début mars 2020 qu’une équipe de l’ADAFAM arrive de la Réunion en passant par l’île Sainte-Marie. Véronique Lavergne et Eric Gentelet vont pouvoir repartir à temps mais Chantal Misandeau, présidente d’ADAFAM, va se laisser prendre volontairement dans le confinement. Tandis que cessent les vols internationaux, elle s’installe à Manompana pour presque deux mois et va pouvoir mener sur place des opérations de reboisement. Autre acte d’importance, la signature, entre ADAFAM et les héritiers Takidy, d’un bail emphytéotique de 18 ans pour le camp qui abrite nos bungalows. Nous ne sommes donc plus menacés d’expulsion et l’emprise a même été agrandie. Des experts-géomètres ont fait le déplacement pour matérialiser le nouveau bornage.
A Manompana la pandémie est surtout une tragédie économique. Les taxis-brousse sont arrêtés, le poisson ne peut plus être vendu, les prix s’effondrent. En juillet 2020, deux stagiaires irlandaises qui avaient travaillé pour ADAFAM en juillet 2019, Meadhbh et Jay, émues par la situation difficile à Manompana en raison du Coronavirus, ont imaginé et réalisé de toutes pièces un programme d’aide : « Mouthfull », financé par « crowdfunding », un appel de fonds sur Internet. Le résultat dépasse toute espérance : savons, masques et nourriture sont fournis aux personnes les plus vulnérables du village (personnes âgées, malades, orphelins). Ainsi, ce sont plus de 400 personnes qui ont pu bénéficier d’un soutien pendant 4 mois.
Par chance, nous avons obtenu une aide de l’American Orchid Society (AOS), pour la sauvegarde des quelques cent espèces d’orchidées de la forêt. Nous pouvons verser à l’AGePN de quoi procurer un demi-salaire à un jeune du village, Dimitri Jean Kleber, qui va se former à reconnaître les orchidées et prospecter dans la forêt et ses alentours. Les résultats ne se font pas attendre avec une première photo de Galeola humblotii, rarissime orchidée sans chlorophylle, qui n’avait été vue qu’une fois jusqu’à maintenant.

Galeola humblotii

Galeola humblotii

Pour Chantal Misandeau se pose ensuite la question de rentrer à la Réunion. En l’absence de vols, sauf vers Paris, de nombreux réunionnais se sont retrouvés bloqués à Madagascar. Grâce à l’intervention du trésorier de l’ADAFAM Michel Jarry qui alerte les médias et des députés de La Réunion, un vol de rapatriement a été affrété. Mais comment rejoindre Tananarive en l’absence de bateau pour l'île Sainte-Marie et avec l’interdiction de circuler ? L’obtention d’une autorisation de circulation grâce à M. Patrick Bernard, consul honoraire de France à l’île Sainte-Marie, fût une première étape, trouver un taxi-brousse une seconde et pas la moins difficile … Avec un départ de Manompana le 17 avril, la présidente d’ADAFAM est enfin arrivée le 25 avril à la Réunion. Accueil triomphal ? Hum, en fait 2 semaines de confinement dans un hôtel ! La véritable libération n’aura lieu que le 7 mai, avec en prime une interview sur ITV !

2021, fin de la crise ?

Des nouvelles alarmantes nous parviennent : les zones protégées de Madagascar, en l’absence de tourisme et de surveillance, sont à la merci des braconniers et les lémuriens deviennent de la « viande de brousse ». Il est donc fort bienvenu que nous puissions continuer à financer les actions de gardiennage. La forêt s’avère donc pour la population locale une source fiable de revenus en période de crise, au moins pour les quinze personnes que l’AGePN peut embaucher à temps partiel grâce au financement de l’ADAFAM. L’embauche à temps partiel est nécessaire car il faut aussi du temps à tous pour entretenir leurs cultures.
A l’heure actuelle, Madagascar n’a encore fait aucune prévision sur la réouverture de ses frontières. La pandémie a de plus enlisé le processus de signature de notre convention.
Le directeur de la Direction de l’Ecologie de l’Environnement et des Forêts, le Dr. Herizo Andrianandrasana, déjà cité, a été appelé à d’autres fonctions après avoir signé le décret du contrat de délégation de gestion. Nous venons de signer à notre tour, à distance, ce contrat avec son successeur, Charles Tovonianina Rakotonanahary. Une cérémonie de signature plus officielle aura lieu dès que les circonstances le permettront.
En attendant les actions de reboisement continuent dans les parcelles privées que nous avons acquises, avec une supervision à distance … et oui, on peut faire du reboisement en télétravail !

Jean-Michel Hervouet et Chantal Misandeau

Pour en savoir plus, ou pour agir …

Le site de l’ADAFAM : https://www.adafam.org

Une interview de Chantal Misandeau : https://univetnature.org/2021/03/03/rencontre-avec-chantal-misandeau/

Un gala d’Univet Nature …

Univet Nature organise, Lundi 27 septembre 2021 à 19H30, sur YouTube, un gala à l’intention de ses bénéficiaires : https://gala-univet.fr/

Actualité en ligne sur le gala : https://univetnature.org/2021/02/10/un-gala-de-lespoir-pour-les-animaux-sauvages/

Les projets sélectionnés : https://gala-univet.fr/les-projets

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