Pour une cartographie des orchidées de France

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David Lafarge

L'idée de dresser une « carte de France des Orchidées » a été émise par notre ami P. JACQUET, dans un article publié dans le numéro 7 (mars 1972) de « L'Orchidophile », et qui s'intitulait : « Pour la création d'une Section Orchidées de France ». P. JACQUET avait à cette occasion établi un modèle de fiche qui a été distribué entretemps à la plupart des intéressés, dans le but de constituer un répertoire de stations.

On peut noter en passant que les Allemands ont constitué un groupe de travail dont les objectifs sont analogues ; bien qu'ils aient rencontré un certain nombre de difficultés, ils nous ont largement distancés dans ce domaine ; à titre d'exemple, leur groupe régional le plus dynamique, celui du Land Bade-Wurtemberg, a déjà rassemblé et exploité plus de 200 000 données. Comme le soulignait notre ami P.A SCHAFER, qui a eu l'occasion de s'entretenir avec eux lors du dernier Congrès de Francfort, cela laisse rêveur et donne une idée du travail qui nous attend, la France étant plus vaste et beaucoup plus riche en Orchidées que l'Allemagne de l'Ouest.
Il est bien évident qu'il faudra définir un ordre d'urgence et se limiter dans un premier temps aux espèces ou variétés les plus rares et les plus menacées, en tenant compte du fait qu'une espèce relativement abondante dans une zone peut devenir inexistante ou très rare dans une autre.

Avant de s'étendre sur les moyens à utiliser, il convient de définir les documents que l'on souhaite établir. A notre avis, ils doivent être essentiellement constitués par :

  • Des fiches donnant une description aussi précise que possible des stations, à raison d'une fiche par station et, à la limite, par espèce.
  • Dans un stade ultérieur, des cartes donnant une représentation d'ensemble de la répartition d'une espèce, pour la France ou pour une région déterminée.

Ces cartes, qui constitueraient la synthèse des fiches relatives à l'espèce considérée, peuvent elles-mêmes être conçues de différentes façons :

a) Elles peuvent simplement circonscrire à l'aide d'une ligne continue une aire de répartition. On trouvera par exemple de telles cartes dans le numéro spécial de la revue allemande « Die Orchidee », consacré au genre Epipactis. Bien que son intérêt soit indiscutable, cette présentation ne peut, à notre avis, convenir qu'à des espèces relativement abondantes et ne présentant pas de discontinuités importantes à l'intérieur de l'aire circonscrite. De plus, son utilité pour orienter des recherches est pratiquement nulle ; tout au plus fait-elle ressortir l'intérêt des découvertes faites à l'extérieur de la zone de répartition admise.
Des cartes analogues se retrouvent sous une forme un peu plus élaborée dans les ouvrages de E. NELSON ; elles présentent l'avantage de faire ressortir simultanément les distributions des différentes espèces ou sous-espèces d'un groupe et recourent en même temps à une représentation ponctuelle plus fine pour les stations isolées.

b) Un deuxième mode de représentation cartographique consiste à superposer à la carte un système de subdivisions, qui peut être constitué par un quadrillage ou utiliser des limites administratives (département, arrondissement, etc.). Un système de marquage permet alors de faire ressortir les subdivisions dans lesquelles la présence de l'espèce a été
constatée ou confirmée. Cette méthode a été utilisée pour les cartes établies par le groupe de travail allemand mentionné ci-dessus ; elles sont découpées à l'aide d'un quadrillage dont chaque carré élémentaire correspond à une carte topographique au 1/25 000 (il y en a 311 pour la surface considérée, à savoir le Land Bade-Wurtemberg). Dans chaque carré, un cercle noir ou blanc correspond à la présence ou l'absence de l'espèce concernée.
Des cartes similaires figurent dans le numéro spécial de "Die Orchidee" consacré au genre Epipactis ; elles donnent la répartition des différentes espèces pour le Luxembourg, en faisant appel à un découpage très fin, car chaque carré correspond sur le terrain à une surface de 1 km de côté. On arrive ainsi à une grande précision, que permet la faible étendue du pays considéré, mais qui, dans le cas de la France, ne pourrait être utilisée qu'à l'échelle régionale (cas des espèces à répartition très localisée).

c) Dans le cas d'espèces très rares, on peut aussi envisager un système de représentation « ponctuel », situant sur la carte les emplacements des stations, repérées à l'aide de numéros et explicitées par une légende (fig. 13). Ce système peut d'ailleurs être combiné avec le premier dans le cas de stations isolées se trouvant à l'extérieur d'une aire à répartition relativement dense.

Nous allons maintenant revenir aux fiches d'identification de stations, qui constituent la base du répertoire que nous avons en vue et qui serviront ultérieurement à l'établissement des cartes de répartition. Quelle que soit la forme retenue pour ces fiches, le premier problème qui se pose, après l'identification de la plante, est celui de la localisation géographique de la station. Si notre but se limite à l'établissement de cartes de répartition, cette localisation peut être effectuée de façon approximative, par exemple par l'indication de la commune, ou tout au moins de la localité la plus proche. A notre avis, il faut voir plus loin et garder à l'esprit que nous agissons dans un but de conservation ; cela implique que celui qui fait des découvertes « n'emmène pas ses secrets dans la tombe » et donne à d'autres la possibilité de suivre dans le temps l'évolution de « ses » stations et de prendre, le cas échéant, des mesures pour leur sauvegarde. En bref, une fiche d'identification doit permettre à celui qui l'a entre les mains de retrouver sans difficultés la station correspondante ; cela ne veut d'ailleurs pas dire que ces fiches soient divulguées sans discernement, mais elles doivent être accessibles à ceux qui s'engagent à respecter les stations. Ceci posé, comment effectuer une localisation précise ? La première idée oui vient à l'esprit est celle du croquis. Ses avantages sont évidents si celui qui l'exécute tient compte d'un certain nombre de règles :

  • Un croquis doit comporter une orientation (on doit toujours avoir une boussole en excursion...) et une échelle, ou tout au moins des indications de distance précises.
  • Les indications doivent être données par rapport à des repères simples, facilement identifiables (routes, voies ferrées, cours d'eau, lignes électriques, etc.) et stables dans le temps (se méfier des repères constitués par la végétation ou les cultures environnantes). Les numéros des routes et chemins devront être mentionnés ; les bornes kilométriques et éventuellement hectométriques peuvent également constituer de bons repères.
  • Un croquis ne doit pas, sous peine de perdre sa précision, correspondre à une surface trop importante ; il faut compléter, si cela s'avère nécessaire, par un 2e croquis à échelle différente, schématisant les voies d'accès, mais comportant également une échelle ou des distances.

L'autre méthode consiste à utiliser les cartes disponibles dans le commerce, qui sont, en somme, des croquis « préfabriqués ». Dans bien des cas, on sera d'ailleurs amené à utiliser conjointement les deux méthodes, qui se complètent mutuellement. Le croquis est en effet d'une utilité pratique incontestable sur le terrain, mais seule la carte permet un repérage par des coordonnées chiffrées suivant un système concis et unique, et donc un regroupement rationnel des données recueillies.
Ceci dit, il ne faut pas se dissimuler les difficultés pratiques d'utilisation des cartes lorsqu'on se trouve dans une zone où les repères sont masqués (forêt dense) ou simplement éloignés ; là encore, la boussole se révèle un instrument indispensable pour qui veut fournir ou lire des indications sans trop de risques d'erreur.

Voyons maintenant quelles sont les cartes disponibles, et quel usage nous pouvons en faire en fonction de nos besoins :

1) Il est inutile de présenter la carte Michelin au 1/200 000, qui est la plus connue des cartes routières.

Ses avantages sont bien connus :

  • prix modique
  • grande diffusion : on peut se la procurer facilement même dans les petites localités.
  • chaque feuille, du fait de l'échelle utilisée, couvre une surface importante.
  • format pratique du fait du système de pliage.

Elle présente par contre les inconvénients suivants :

  • l'échelle utilisée rend sa précision médiocre, surtout dans les régions à relief accidenté ou présentant une forte densité de voies de communication : la largeur de 1,5 mm attribuée aux grandes routes correspond à 300 mètres sur le terrain.
  • on ne peut estimer qu'exceptionnellement les altitudes, car les courbes de niveau ne sont pas représentées.
  • le réseau de repérage est constitué par des méridiens et parallèles, limitant des aires trapézoïdales de dimensions variant avec la latitude.

En résumé, on peut dire que, sauf cas exceptionnels, un croquis devra accompagner les indications fournies à l'aide de cette carte ; à noter que le numérotage des plis permet de situer rapidement les localités.

2) Nous allons maintenant passer en revue les cartes éditées par l'Institut Géographique National (I.G.N.), en ne retenant que celles dont l'échelle est supérieure ou égale au 1/100 000.

a) Les cartes pliées au 1/100 000, dites de la « série verte ». Il y en a 74 pour l'ensemble de la France, Corse comprise, et leur prix se situe aux environs de 8 F. Leur présentation est agréable (bon rendu du relief) ; elles présentent par rapport aux cartes Michelin les avantages suivants :

  • une plus grande précision, car l'échelle est double, ce qui permet l'adjonction de nombreux détails supplémentaires (sentiers, ruisseaux, lignes à haute tension, etc) ;
  • la possibilité d'estimer l'altitude par les lignes de niveau (cela nécessité quand même un peu d'entraînement et beaucoup d'attention).
  • Leur inconvénient majeur est l'absence de système de repérage, que ce soit en coordonnées latitude-longitude ou en quadrillage kilométrique.

b) Les cartes topographiques au 1/100 000, en 8 couleurs. Le dessin est identique aux précédentes, qui en sont dérivées. L'I.G.N. en sortait autrefois une édition pliée, sous pochette, qui n'est plus réditée. La présentation actuelle est à plat et a un format de 40 x 55 cm environ. Il y en a 293 pour l'ensemble de la France et leur prix unitaire actuel est de l'ordre de 6F ; l'acquisition de la série complète représenterait donc une dépense d'environ 1 800 F. Ces cartes comportent des repérages par latitude-longitude, en degrés et en grades ; le quadrillage Lambert est esquissé sur les bords (un trait tous les 10 km), ce qui permet de définir les coordonnées d'un point avec une erreur inférieure à 50 mètres si on admet une précision de lecture de 0,5 mm.

c) Les cartes topographiques au 1/50 000, en 5 couleurs. Elles sont disponibles en présentation à plat ; leur format est également de 40 x 55 cm. Leur échelle permet la représentation d'un très grand nombre de détails et elles comportent sur le pourtour 3 repérages précis : latitude ou longitude en grades et degrés, quadrillage kilométrique Lambert ; de plus les intersections des lignes de coordonnées principales sont figurées par de petites croix. Ces cartes constitueraient à notre avis l'instrument de travail idéal, d'autant plus que leur échelle coïncide avec celle des cartes géologiques détaillées : elles permettent de situer un point avec une erreur inférieure à 25 mètres, en admettant toujours une précision de lecture de 0,5 mm, et couvrent une surface de 55 km2, ce qui est appréciable. Malheureusement, leur acquisition pour des régions étendues entraîne vite des dépenses importantes : la série complète, soit 1 074 cartes, reviendrait à plus de 6 000 F. Néanmoins, on ne peut que recommander leur utilisation pour celui qui veut explorer en détail une zone où il a l'occasion de séjourner un certain temps.

d) Nous ne citerons que pour mémoire les cartes topographiques au 1/25 000, en 4 couleurs. C'est ce qu'il y a de plus détaillé après le plan cadastral, mais leur application pour le but que nous poursuivons nous semble assez limitée ; on peut noter toutefois que leur échelle permet de les utiliser directement, par décalque ou photocopie, pour des croquis. Leur découpage correspond à 1/4 (ou 1/8 dans l'ancienne édition) de la carte au 1/50 000 et pourrait éventuellement servir de canevas pour des cartes de répartition d'ensemble d'une espèce.

Avant de clore le chapitre des cartes (les cartes mentionnées sont disponibles à l'I.G.N., 107, rue La Boétie, Paris 8e), nous dirons un mot du quadrillage kilométrique U.T.M., qui figure sous forme de surcharge en violet sur certaines cartes (édition militaire). Il n'est guère utilisé que par les militaires, et ne présente pas pour nous d'avantage particulier par rapport au quadrillage Lambert. Nous nous sommes peut-être étendu un peu longuement sur les cartes, mais nous pensons que la localisation exacte d'une station constitue un enseignement très important, qu'il serait bon d'exprimer sous une forme chiffrée, de préférence en coordonnées Lambert, de façon à permettre une centralisation cohérente et rapide. Le modèle établi par P. JACQUET constitue à notre avis une fiche théorique idéale, mais elle est relativement longue à remplir, et nous croyons que la pratique révélera que les fiches complètes constitueront des exceptions. Aussi nous suggérons qu'on en modifie éventuellement la présentation en groupant d'un côté les renseignement prioritaires : nom de l'espèce, coordonnées de la station, importance de la station, date de l'observation, tout en conservant des indications facultatives telles que nature du sol, végétation d'accompagnement, avancement de la floraison, etc. Il est également important de mentionner ou d'estimer les chances de survie ou d'extinction de la station.

Nous avions également, avec P.A SCHAFER, envisagé un modèle de fiche simplifiée, où on noterait seulement la présence de l'espèce dans un secteur déterminé, chaque secteur correspondant par exemple à la superficie couverte par l'une des cartes mentionnées ci-dessus. Ce système ne résoudrait donc que l'aspect cartographie de notre problème et ne permettrait pas l'identification proprement dite des stations ; il aurait par contre l'avantage de favoriser une collecte plus rapide des données.

Avant de terminer, nous voudrions rappeler l'existence d'autres projets de cartographie floristique, ne se limitant pas aux Orchidées. D'après les renseignements que m'a communiqués R. ENGEL, il y en a deux, dont le responsable est le Professeur P. DUPONT, de Nantes, et qui sont basés sur la méthode par quadrillage :

  • Projet « Flora Europaea » : on recense la présence des espèces dans des carrés de 50 km de côté. Ce travail, mené en collaboration avec les autres pays d'Europe, serait déjà terminé en Belgique, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Scandinavie, et très avancé en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Tchécoslovaquie.
  • Projet « Flore de France » : l'inventaire s'effectue sur la base de carrés de 10 km de côté, correspondant au quadrillage U.T.M. des cartes militaires.

Publié par E. Mouette

dans L'Orchidophile n° 13

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